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  • Bens

Quand la peine d'un frère arrivait.

Dernière mise à jour : 15 avr. 2019



Ça commençait toujours pareil ou presque.

Il avait rendez-vous avec l'un d'entre nous et il était pas venu,

et c'était louche quand il en avait pas l'habitude.

Un absence qui mettait la puce à l'oreille,

comme un, mauvais pressentiment...

Et puis souvent un téléphone finissait par sonner...

Parfois, tu l'apprenais par un article en page faits divers,

on avait même eu un frère qui en avait eu trois le même jour ! Sacré lui...

Flagrant délit, ou suites d'une grosse enquête,

on avait fini par connaître par cœur,

le prix moyen à payer pour chacune de leurs potentielles erreurs.

Et souvent chacun y allait de son pronostique sur les causes et les risques qu'ils avaient pris,

et le temps qu'ils prendraient..

De GAV qui duraient plus de 48h et du roussi que ça sentait.

De comparutions immédiates où on était là, soucieux, attendant la sentence.

De déférés et de mandats de dépôts,

qui sonnaient le top départ d'une partie d'échecs dont on ne maîtrisait aucunes règles.

La daronne qui s'effondre en entendant la sentence,

les « t'inquiète pas on va s'en occuper ».

Le coup de poing dans le mur du couloir qui l'emmène jusqu'à la maison d’arrêt.


Quand tu tombes,

y'a pas que ta vie qui bascule.

Ils le savaient, mais se mentaient quand même,

faisaient comme si ils ne le savaient pas, ou peut être qu'ils l'oubliaient,

quand ils sortaient le soir prendre le risque.

Je sais pas, je crois que ça dépendait des fois, et puis aussi des parcours et des pourquoi...

Alors qu'à l'extérieur s'organisait le soutien,

à celui qui était parti pour plus ou moins de temps,

ou celui parti pour on ne savait même pas, combien de temps.

L'âme fraîchement emprisonnée se réveillait aux Arrivants.

La tête lourde des fautes commises.

A l'esprit, les regards meurtris qui s'étaient échangés dans la salle d'audience.

A l’ego les raisons qui les avaient fait commettre.

A programmer déjà la suite pour les plus dégourdis,

ou peut-être les plus cramés (?) d'entre eux.

Parfois on pouvait avoir quelques nouvelles,

quand l'auxi en charge connaissaient les nôtres.

De ce que ça fait d'imaginer son sang,

y passer sa première nuit, seul, sans n'avoir pu rien lui dire.

Le poids de nos fautes sur les épaules.

Les prières qu'on fait pour que le Tout Puissant l'aide à tenir.

On pouvait lire dans les plaquettes de prévention disponibles à l'accueil des familles de la maison d’arrêt,

que les 15 premiers jours de détention pouvaient représenter une période « sensible ».

C'est marrant, l'angoisse ne passait jamais après en fait.

C'est marrant aussi les 15 premiers jours, ils n'ont le droit de voir personne...

Il y avaient ceux qui avaient leur famille et puis il y avait ceux qui l'avait elle,

et elle n'avait jamais refusé service ou parloir à un frère.

Jamais on ne su comment ils s'étaient compris.

Si c'était vis à vis de choses qu'ils s'étaient dites.

Si c'était les preuves qu'elle avait faites,

ou si c'était sa place, si particulière,

qui lui avait donné les clés des plus précieux secrets de ses frères.

Il y avait ce que la famille peut gérer,

et puis il y a ce que les frères gèrent,

pour le reste ils l'avaient elle.

Le regard à porter sur la femme et la fille, et la bouée à être en cas de tempête.

Le billet qu'on donne pour l'anniversaire de la sœurette, pour garder encore un peu sa place.

Les nouvelles pour la famille restait au pays, intermédiaire de ce qui se dit,

mais souvent, tant ne se dit pas...

La visite pour veiller sur la mère,l'écouter et enfin l'autoriser à dire.

Et quand parfois, quand pour elle c'était rude,

certain de lui rappeler : « allez le sang, t'es bien là dans la merde avec nous ».

On a jamais su si c'était elle qui était bien là dans la merde avec eux,

ou si c'était parce que c'était la seule à bien vouloir y être.

Si c'était eux qui avaient besoin d'elle dans la merde avec eux,

ou si c'était parce qu' ils avaient toujours tous étaient,

dans la merde tous ensemble de toute façon.

Permis de visite accordé.

L'effet...

Le soulagement d'une première visite, et puis l'angoisse de l'envisager.

Les timings à ne pas manquer,

car la norme veut que si tu te rate, eux ne te ratent pas.

« Famille absente ».

La déception et le retour bredouille du parloir, sa tête et les murs de la cellule.

Sur le cabas un numéro inscrit au marqueur,

qu'on finirait par connaître tous par cœur.

Et quand on l'oubliait, c'est que tout ça était enfin bien loin derrière nous...

La tenue qu'il fallait,

rien qui ne sonne et un peu de place dans les seufs,

des bonbons, ou un bon sandwich pour les reufs.

La longue attente devant les portes du pénitencier,

rêvassant le cœur serré au jour où elles s'ouvriraient enfin pour eux.

C'est l'heure.

Le climat, selon l'humeur de ceux qui le fixe.

Le rappel des règles, et de ce qu'on risquerait à les enfreindre.

L'appel, le portique qui inchallah ne sonnera pas.

La daronne qui a pas de chance,

le sous vêtement qu'ils lui font enlever devant tous.

Les regards consternés qui se croisent,

et qui, pour lui laisser un peu de la dignité qu'il lui avait prises regardent silencieux le sol.

La domination malsaine de ceux qui ont tous les droits,

la grande gueule qu'il te reste,

et la pensée coupable du frère qui lui dedans n'en a aucun,

qui te font mordre ta langue.

Les salles communes,

où les histoires de dehors de tout le monde se mélangent dans des murmures.

Ou les box,

qu'ils verrouillent derrière toi.

La tête du frère derrière la vitre quand le SS ouvre la porte.

L'accolade tant attendue, et le regard inquisiteur pour mesurer son état.

Les bonnes et les mauvaises surprises,

les bonnes joues et celles qui se sont creusées.

Les bonnes mines qu'on fait croire, les airs perdus et les poches sous les yeux.

Parfois les bleus...et les inquiétudes qui trahissent les regards.

Les sucreries quand ya pas le SS.

Tout ce qui peut se dire à voix haute.

Tout ce qui se chuchote ou se dit sans se dire.

Les larmes qui montent mais se retiennent, quand c'est l'heure de se séparer,

et elle arrive toujours tellement vite...

L'accolade, et les mots pour tenir jusqu'au prochain parloir...

Celle quand la sortie est proche,quand tu te dis que inchallah ce sera le dernier...

L'effet.

Celle qu'ils se sont fait sans savoir, que c'était la dernière fois....

Lui qui s'en va.

Toi qui reste là, libre mais pas tout à fait.

L'attente de la fouille, et cette envie de sortir de là.

Les larmes qui coulent, une fois dans la voiture.

Les nouvelles qui se donnent et ce qu'on tait en sortant.

Le mal que ça fait d'être libre et de laisser là, enfermé son sang.

Le quotidien des bâtiments.

Les peines qui passent, et celles qu'on attend.

Tout ce que ça leur avait fait de pas savoir,

les esprits qu'ils avaient perdus dans ce brouillard.

Les alliés dedans, les nouveaux ou ceux qui l'étaient déjà dehors.

Ceux sur qui tu peux encore compter, et puis ceux qui avec le temps finissaient par faire les morts.

Les traces que ça leur avait laisser,

la manière qu'ils avaient de dire que ça les avait pas touché.

Les codétenus et la débrouille en partage,

les cantines, les colis et les yoyos dans les étages.

On en connaissait même un qui avait voulu y faire la révolution.Sacré lui!

Il se disait même que la pénitentiaire n'en voulait plus.

Et dans le face à face pour le coup c'était lui qui les avait brisé.

Les règles qu'ils voulaient.

Comme ils voulaient et avec qui ils voulaient.

Les jeux de pouvoir que ça déclenche, dans la cours et les bâtiments.

De la loi du plus fort, comme au dehors,

et pourtant certains s'en sortait mieux à l'intérieur

nombreux se la racontait aussi beaucoup plus qu'à l'extérieur,

et certains de se promettre, de les recroiser dehors un de ces jours.

La valeur d'une cigarette.

Les heures passées discrètement au téléphone,

les fouilles de l'ERIS,

et les nouvelles qui s'éteignent un temps.

Les promenades dans la cours,

la détente et les yeux qu'on garde ouverts autour.

Les nuits où ils avaient du mal à dormir,

les cachetons que certains ont fini par prendre pour y arriver.

Les parloirs fantômes qu'ils mettaient parfois,

pas prêts à assumer le regard de leur mère.

Les rages de dents et la semaine pour le doliprane,

les murs dans lesquels certains se sont tapés les cranes.

Les coups, les hurlements et le silence,

et les "suicides" déclarés le lendemain.

L'injustice, le mitard,

les esprits, les vies, les rêves qui s'y sont perdus..

On ne taiera pas ton histoire,

toi, le fils, leur frère,

et le mien, à titre postume..


L'insécurité dans la sécurité maximale.

La désintégration de celle qui devait les réinsérer.

Les voies qu'ils avaient prises pour lui survivre,

car il faut bien comprendre que tu te dois d'y survivre.

Les risques que certains avaient pris pour les y aider,

les poids qu'ils portaient bien malgré eux sur leurs épaules.

Comment tout était fait pour alourdir leur charge,

les galères de la vie qui venaient s'accumuler,

les sacrifices que ça demandait, d'être toujours là pour ceux qui étaient enfermés.

Les choses et les gens qui changeaient.

La culpabilité,

de devenir bien malgré eux le centre d'un nouveau Monde,

que personne ne leur enviait.

Souvent jugées avec eux et mises à l'écart,

la société voulant leur faire porter un visage de la honte qu'elles ne méritaient pas,

certaines qui s'en allaient et d'autres, qui elles, resteraient toujours là.

L'intérieur et les mains liées.

Les frustrations,les dépendances que ça créait et qu'un jour il faudra assumer.

Les ascenseurs que certains avaient à cœur de renvoyer,

arrivant rarement de ceux, à qui ils auraient pensé en premier.

Le temps et les parloirs qui passent.

Les compagnons de cellules qui s'en sortent, et les paquetages qui se font.

Des nouveaux qui se défont.

Les choses qu'ils avaient voulu leur laisser,

en soutien, en souvenir ou pour ne rien n'emporter de là avec eux.

Le coup derrière la tête que ça met,

quand ton codétenu sort, alors que toi,

tu sais toujours pas combien d'années t'auras à tirer.

Les moments qu'on rate à l'extérieur.

Une union,une naissance ou un simple dimanche en famille.

Celui à qui on a pas laissé enterrer le frère...

Les courtes et les longues peines,

et puis celles qu'on leur avait rajoutées.

Les semaines, les mois et puis les années.

Le sens de la peine qui se perd,

et les fossés qui se creusent.

Les habitudes et les repères quand ils s'ancrent,

et tout ce qu'ils en avaient gardé à l'extérieur.

D'une lumière qu'il ne voulait éteindre,

à 4 coins qu'il nettoyait sans cesse,

d'une terreur nocturne,à celle,

qui avait fini par leur durer jour et nuit.

De la chose la plus insignifiante,

à la plus terrifiante,

tous ce qu'elle, d'une manière ou d'une autre, avait changé d'eux à jamais.

Les permissions quand la fin est proche.

Profiter quelques heures à peine,de l'air de la liberté et des proches.

Rentrer le soir, à l'ombre des miradors le vague à l'âme.

Les sorties.

Toutes celles qu'on avait vu,

celles qu'on attend toujours,

et celles qu'on ne verra jamais.

La vago et les amis qui attendent depuis 8h sur le parking.

Lui, le packettage déjà prêt depuis la veille dans la cellule.

Le premier pas dehors.

Le retour.

Et puis souvent, aussi, malheureusement les allers/retours...

Pour ceux qui y étaient passés,

et ceux qui sont toujours en cage.

Toujours et à jamais à ceux, qui s'en sont pas sortis.

Ben's

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