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Pipo, un devoir de mémoire

Dernière mise à jour : 16 avr. 2019



Dimanche 16 Décembre 2018. Reynerie Atelier B.

Il y a 20 ans, dans la nuit du 13 Décembre 1998, Habib, dit « Pipo » 17 ans, croise le brigadier Bois, dans une voiture volée Boulevard Déodat de Severac. Il est environ 3h du matin, quand, un coup de feu retentit dans la nuit. Cela aurait pu être une interpellation banale, pour un délit, commis par tant d'autres avant eux. Mais cette nuit, Pipo s'enfuit, une balle logée dans le dos. Il trouve une voiture, sous laquelle il s'allonge pour se cacher. Et reste là, le temps que ça se calme. Les minutes ont dues être longues cette nuit là, on a entendu la chahada cette nuit là. Deux heures plus tard, une dame qui passait par là. Découvre Pipo, qui s'en est allé. Cette nuit là, on est rentré sans rien dire au commissariat. Il paraît que cette nuit là, on aurait pas entendu le moindre coup de feu..

Coup de feu qui allait plonger le Mirail dans les flammes, des jours durant. Des jours durant, on a vu et entendu la colère gronder. Des jours durant, on a entendu la jeunesse du Mirail hurler.

Des cendres de ces flammes naissait le 9Bis. Avant cela le 9Bis, c'était qu'un bâtiment. Avant cela ces jeunes là, on les entendait pas, ou peu. Mais face à Pipo, qu'on avait réduit au silence, ils ont décidé, par le 9Bis, de porter et faire raisonner sa voix. Parce que l'histoire de Pipo c'était bien plus qu'un fait divers, parce que l'histoire de Pipo c'était le reflet de tant d'injustices qu'on vivait là.

Ils se sont réunis, ont pensé et acté. Ils ont invités le MIB, et d'autres, débatus, se sont organisés. Ils se sont conscientisés. Ils se sont, (A)-politisés.

Pour Pipo, pour la Justice et contre les inégalités, comme d'autres l'avaient fait avant eux, le 27 Mars 1999, à la Saint Habib, ils ont décidé de marcher.

Ils ont marché. Du Mirail au Capitole. Ceux qu'on voudrait ne pas voir, sont venus, silencieux, hurler pour la Justice, face à l'élite qui ne la garantissait pas.

Ils ont trouvé porte close. Tant pis. On ne pourra pas leur enlever, ce qu'ils avaient fait là. Mais parce que c'était que des gamins, et que parfois, il y a des réalités qui nous rattrapent, le cœur du 9Bis a glissé et s'est retrouvé en cage.

Les élites dehors, ont décidé d'en profiter pour les broyer. Parce que c'est ce qu'elles font les élites, quand les citoyens commencent à l'être. C'est ce qu'elles font les élites, quand les voix des justes raisonnent. C'est ce qu'elles font les élites quand tu t'exposes pour tes causes.

Le 6 Septembre 2001, le brigadier Bois était condamné par le tribunal à 3 ans de prison avec sursis pour homicide involontaire. Dans ma vie j'ai du trop en faire, alors face à ça, je ferais pas plus de commentaires.

Ce dimanche 16 Décembre 2018, le Comité Vérité et Justice 31 organise , avec la famille à Pipo, les ancêtres du 9Bis et du MIB, chez Pipo, à la Reynerie, un moment pour se rappeler l'histoire.

Devoir de mémoire. Alors qu'ils voudraient la taire, rappelons, haut et fort l'histoire de Pipo, devenue la notre.

Le Bruit, l'odeur, et quelques étoiles. Je regarde son histoire, avec mon ami Farid. Qui se regarde à peine, 20 ans de moins dans des yeux, qui ont vu tant de choses depuis. Il me commente. Et Moi aussi. Je le chambre. Il mérite quand même. Parfois, je sens qu'il frissonne, souvent quand moi aussi. Et au son de cette histoire qui résonne, je redécouvre mon ami et tout ce qui l'avait fait, je suis fière de lui, Et cela bien au-delà, de ses erreurs. Et je voulais qu'il le sache. Je l'aimais déjà. Je l'aime encore plus, quand je l'apprends comme ça.

Discussions.

Je redécouvre un visage marqué, que j'ai l'habitude de croiser, sans savoir qu'elles sont les siennes, ces cicatrices que portent le Mirail et son histoire. J'ai dû le voir à la TV en 2001, quand le procès du meurtrier de son frère , a porté pour la 1ère fois à mes yeux d'enfant, l'Injustice. Il regarde à terre, quand il évoque à demi-mots/maux, comment la mort emporte les vivants au delà des vie que l'on enlève. Il revendique même pas, alors qu'il en a le droit, Beka, quand il parle de l'injustice qui lui a pris son frère il y a 20 ans. Quand je le vois prendre la parole Béka, je vois que ça lui fait du mal, mais aussi que ça lui fait du bien à Béka, de se souvenir, de voir ces gens, là, se soucier de son histoire, de regarder sa fille, et de penser à l'avenir...

Le cœur du 9Bis témoigne. Pour Pipo. Pour Pipo et pour les combats, que la dignité de sa mémoire leur avait fait mener. De ces combats plus grand qu'eux, qui les avaient fait apprendre de la vie. Ils avaient 20 piges quand ils ont regardé l'injustice droit dans les yeux. Et qu'ils décidaient pour la 1ere fois pour beaucoup d'entre eux, de transformer la réponse des flammes en fumée blanche, avec l'aide du MIB et de tant d'autres.

Marquer l'histoire par le feu et transformer ses flammes en combat contre l'injustice. Changer les pierres en revendications. La fumée lacrymogène en marée humaine qui descendait pacifiquement sur la ville. Pour Pipo, pour la Justice, contre les discriminations pour l'emploi et pour l'éducation.

Sous la pluie battante, ils l'ont fait. Faire marcher tout ce que le béton a fait de meilleur, jusqu'au cœur de la Ville, face au Capitole, et ses portes qui restent, comme tant d'autres toujours fermées, même 20 ans après.

1 minute de silence. Puis 1 minute de cris. Et Mon cœur s'échauffe quand je l'imagine.

Ils l'ont fait. Ils ont transformé la violence de l'injustice et tout ce qu'elle embrase. Ils ont donné, une leçon de citoyenneté.

Il a appris de cette histoire, le cœur du 9Bis Il l'a écrite. Et plus important encore pour l'histoire, il porte sa mémoire.

Ce 16 Décembre, ils nous l'ont partagé.

Les constats sont amères ce dimanche, 20 ans après les faits. Quelque part, mis à part eux, rien n'a changé. Des Pipos, depuis, il y en a eu des tas.. On demande toujours la Justice dans les quartiers aux 4 coins de la France. Les quartiers font toujours la queue au Pole emploi ( qui a quand même changé de nom depuis les faits, il faut le noter). L'éducation ? Toujours mise à mal dans les territoires prioritaires de nos villes, fera l'objet d'une autre chronique, parce que si je commençais... Les portes? Toujours fermées.

S'il reste en chacun d'eux, comme il reste en chacun de nous. Comme on lutte, au quotidien, en échangeant, témoignant, ne se taisant pas. En portant, les combats que la vie a décidé de nous faire porter. Que faisons de plus pour transmettre ? Comment portons nous et porterons nous demain, ce devoir de mémoire ? Quelles leçons tireront nous de ses histoires de vie, qui vont au delà de ceux qui les portent, et marquent notre histoire collective ? Quelle seront les armes que nous laisseront pour les combats à mener des générations de demain ?

Puisqu'il ne faut attendre réparation d'en haut, réparons-nous les uns les autres, armons nous les uns, les autres, des enseignements tirés des combats menés avant nous, des histoires écrites avant nous. Ecrivons- en une pour demain, une qui nous ressemble, et qui ne taiera pas, ce qu'ils voudraient nous effacer...

20 ans après, tous dégoûtés, mais très loin d'être anéantis.

Pour Pipo et les siens tous les autres et les leurs.

A Farid.


Ben's.

Photos : Comité Vérité Justice 31 / La Dépêche


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