Après coup, il y avait toujours quelqu'un pour dire qu'on l'avait senti venir.
Et c'est vrai qu'on en était arrivé à un point dans la ville, où les plus au courant pouvait te prévoir celles à venir..
Une fin de journée à la Tess, du soleil..
Des discussions banales, en bas du bâtiment, sous le porche ou la terrasse du bar,
et au loin ce bruit de T-Max..
La rafale, et cette phrase qu'il ne finira jamais..
L'agitation sur place, et ceux qui d'un peu plus loin,
regardent vers le ciel, priant pour des feux d'artifices...
Ceux qui, par chance ne s'y trouvaient pas ? Ici la chance, on y croyait pas.
Ceux qui sont sortis en trombe par la porte de derrière,
l'enfant, caché sous la voiture,
et celui qui est resté planté là, l'impact dans le dos...
Tout le monde se rappellera où il était ce jour là.
Le bruit du T-Max qui s'éloigne, et juste après, ce silence.
Rompu par une voiture, qui démarre en trombe,
la porte du bloc qui claque derrière le jeune qui va prévenir sa daronne qu'on l'emmène à l’hôpital,
et le bruit des gyrophares qu'on entend au loin..
Fusillade
La sonnerie du téléphone, les paroles brèves mais lourdes à l'autre bout,
à la hauteur du carnage.
Et l'effroi, qui s'installe dans tes viscères,
à l'écoute d'une liste de noms encore trop incertaine à cette heure.
Les coups de fils qui se passent juste après pour être bien sur qu'ils soient rentrés à la maison,
et les pensées folles quand ça sonne dans le vide...
Le trajet jusqu'à l’hôpital, et les prières qu'on envoie à Dieu...
et au même moment, son ami qui chahade pour lui dans la voiture, enfin arrivés devant les urgences, le trajet le plus long de toute leur vie...
Et le pied qu'on garde enfoncé sur l’accélérateur, comme pour se raccrocher à la vie qui est entrain de se jouer..
Et croiser Mr Tout le monde qui s'enjaille au volant,
et envier le fait, que nos vies soient ses films...
Fusillade
Au fur et à mesure des arrivées,
toujours plus de souffles qui se retiennent sur le parking des Urgences.
Les anges gardiens qui les ont déposés,
au loin tapis dans l'ombre, car ici ils préféraient n'avoir ni noms ni visages.
Les 100 ou 200 pas, et 31000 en plus...
Les âmes soulagées des proches, de ce lui qui sortira du bloc ce soir... Mais et la prochaine fois ?
La mère, le regard vide, qui ce soir deviendra fantôme,
et nous à ses pieds devant sa peine,
Regardant le ciel pour trouver l'aide de Dieu,
sans trop savoir quoi lui demander.
Et le cri de la sœur qu'on a entendu passer entre les portes quand on a du lui dire.
Ce que ça a marqué dans la tête à son frère,
et ce que le sheitan lui chuchote depuis ce soir là à l'oreille.
Et sa femme hurlant ces pourquoi et ces comment faire.
Et que dirait-on de l'histoire aux orphelins, encore endormis et innocents à cette heure...
Et dans leur monde dès demain, cette rage qui une fois lâchée, ravage tout.
Fusillade.
Lorsque tout est terminé, qu'il n'y a plus rien à faire.
On entend dans la nuit, des sanglots longs depuis la fenêtre allumée du 6eme,
que la sagesse viendra remplacer par des versets du Coran.
En bas de la tour, les insomniaques,qui se refont le film,
essayant de reconstituer l'histoire avec les infos jamais trop sures des premiers temps..
Trouver un sens, penser l'impensable, rationaliser l'irrationnel,
ici et maintenant, devenait une question de survie.
Et ceux qui y avaient échappés, qui ne voulaient pas se faire appeler victimes,
car d'habitude toujours coupables..
Minimisant trop souvent l'impact des balles, qu'ils avaient évités.
Sur la coursive, pas trop loin de la maison pour pouvoir veiller sur elle,
on a parlé de la suite et de choses terribles se sont profilées...
Mots que certains, espéraient secrètement oubliés demain,
car on savait tous ce qu'ils voulaient dire...
Au même moment ailleurs, pendant que des violons s'accordaient,
prières sur les nouveaux destins, que ce soir était entrain d'écrire...
Fusillade.
Le lendemain, à l'aube, sans avoir fermé un œil,
regarder par la fenêtre, la Tess, meurtrie se réveiller...
Et toutes ces questions qui se posent devant le café noir..
Le pourquoi du comment on a bien pu en arriver là.
Et se demander ce qu'on fou là, presque comme si de rien,
à retrouver chacun nos places habituelles,
l'ombre de la mort, planant dans l'air pourtant si doux, de la Tess.
Et ce qu'on pourrait bien dire aux gosses quand ils poseront des questions,
puisque ça n'existe plus « que dans les films ».
Et entendre dans le silence pesant du jour,
des murmures entre les tours et les bâtiments,
de multiples raisons à donner à ce destin tragique, et autant de façons d'envisager la suite..
Certains dailleurs, cette nuit, était déjà partis se mettre au vert.
Et ceux qui essayaient de se rassurer en se disant qu'ils n'en étaient pas..
alors qu'à chaque fois on voyait comme elles pouvaient nous atteindre.
A la terrasse du snack, la place, au PMU, ou à l'angle du bâtiment.
Ce soir, personne ne traînerait trop sur le chemin du retour à la maison,
évitant le coin, où ça s'est passé la veille.
Et les plus optimistes d'entre nous,
qui disaient que le train ne passe jamais deux fois au même endroit...
Fusillade
Les chaussures devant la porte du 6eme,
et la grande inspiration que tu prends avant d'y rentrer.
Ce salon qui pleure.
Cette famille , le regard vide encore depuis cette nuit.
Vides, enfermés dans l'impossible,
et la main invisible de Dieu qui les retenait comme à un fil,
pour qu'ils ne s'effondrent à jamais.
Le soutien qu'on venait leur glisser à l'oreille, en leur tenant la main, et nos sanglots silencieux.
Et l'enfant, qui comprend sans qu'on lui explique,
qui portera fièrement le souvenir, qu'on lui a confié, comme un trésor.
Ce qui se disait ici, et tout ce qu'on y entendra jamais,
et tout ce qui se savait en plus, dans la rue ou sur la coursive.
Tout ce qu'on garderait, raconterait de lui ici,
et dehors pour les uns le mythe, et pour les autres resterait qu'un fait divers..
Et se tenir au loin près d'elles, le jour où le quartier l'enterre,
et s'enterre en même temps dans le silence.
Fusillade
Et puis laisser aux mains de Dieu la suite, puisqu'on ne pouvait rien y faire.
Et désormais quand on y passe, regarder l'endroit depuis la coursive,
et repenser à son âme, entre les tours...s'envoler.
Prier pour qu'il les apaise, et n'allument jamais les feux
qui finiraient par les brûler eux mêmes...
Que reste enchaînée la colère, celle qui une fois lâchée, ravage tout...
Et comme tout le monde, faire comme si, on pouvait tout oublier
Passer à autre chose, et juste, ne plus en parler...
Accepter hier comme si c'était qu'un cauchemar,
puisqu'en reste toutes ces choses, qu'on ne pourra réparer.
Les 1er regards qui suivent, les détonations d'un feu d'artifice.
Les discussions qui s'arrêtent, quand on entend un bruit de deux roues.
Les gens et les trottoirs qu'on finit par éviter.
Et nos nouvelles raisons de dire aux gosses de ne pas traîner.
Et les impacts de balles, qui restaient dans les âmes,
comme sur les vitres des voitures abandonnées depuis, sur le parking...
Et ces cicatrices...
qu'ils croyaient obligé de laisser s'imprégner dans le cœur..
comme pour se forger le corps,
déjà prêts, à affronter la prochaine.
Fusillade
Bens'
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