Elle l'avait rencontrée bien tôt dans son parcours, regardée par la fenêtre, sous la pluie, à l'aube de l'automne, sous la neige et l'air glacé d'une après-midi d'hiver, sous l'air chaleureux d'un soir de printemps, sous le soleil, lors d'une nuit d'été. Elle l'avait regardée de plus ou moins loin, les avaient observé s'y enfoncer plus ou moins bien. La Rue était là, en bas depuis toujours, et puis un beau jour, elle y avait fait ses premiers pas... Elle n'était pas allée la chercher pour les mêmes raisons que les autres, et elle s'était rendu compte bien plus tard qu'en fait, elle y avait trouvé bien plus qu'elle n'y pensait. Et de toute façon c'était Dieu, qui l'avait placée là. Elle n' avait jamais voulu parler avec elle. Chaque nuit elle l'écoutait leur faire des promesses, ne pas les tenir à l'aube, et eux, en assumer les conséquences le lendemain. Elle, n'avait jamais cru en elle, avait vite senti l'arnaque et l'odeur de mort qu'elle portait sur elle. Sure que le jeu n'en valait pas la chandelle, elle était restée froide face à ses avances, et forcée de constater qu'elle ne cédait pas, même aux propositions qui auraient pu la tenter quand même, la Rue avait fini par abandonner, comprendre et accepter, qu'elles seraient des partenaires de route bien particulières. N'avait elle pas trouvée, la meilleure des places auprès d'elle ? Une suffisamment proche, car c'est là qu'on place nos ennemis, mais sans conditions, ni comptes à rendre non plus, là, sans en être, là, patiente, prête à s'échapper en fait, avec ceux qui voudraient s'en tirer... Le regard bienveillant toujours à portée, la morale à l'oreille et la parole juste à la bouche, le rappel de Dieu, rempart aux folies dans lesquelles la Rue voulait les amener, bouée de sauvetage quand le décors devient ko, les rêves au bout du chemin dur, qu'ils arriveraient à voir ensemble, la loyauté à raison ou à tords, priant pour qu'on les protège et les mène, bien loin de là... Au bord de la ligne, toujours, à sa différence, pour les bonnes raisons, la comprendront-ils le jour, où elle devra répondre des immoralités que pour des raisons justes elle aurait commises ?
A leur côté sur la route, sans en être, elle avait eu la place privilégiée de celle qui n'a rien a y gagner, et ça faisait la différence. La main chanceuse de la novice dont on avait cotisé la mise pour montrer à la Rue qu'on est des hommes, et du coup la seule du bar ce soir à n'avoir rien à y perdre. L’œil sain sur les vices qui s'arrêtaient un soir, dans une de ces cours des miracles, où personne n'en voyait un, son regard, rempart à une dinguerie qui du coup ce soir n'aura pas lieue. L'oreille attentive aux vérités qu'on veut dire le soir, à celle qui n'aura rien à y voir, et dont, sans que jamais elle ne le fasse, ils attendaient les jugements... L'arme restait dans la voiture, malgré les contrats que la Rue leur avait mis sur la tête, pour un dernier moment de liberté sous la lune. La bouche qui tait, et les secrets qu'elle enterrerait avec elle.
A eux tous, la Rue, ils l'avaient vécue de toutes les manières. Avec plus ou moins de bonnes et de sales manières justement. Certains l'avaient subi, depuis le plus jeune âge, c'était souvent ceux qui y étaient les plus sages d'ailleurs. Dans ses rangs, mais conscients, dépendants, mais patients, ils avaient le rêve à l'âme, la tête dans les méandres de leurs erreurs. Certains l'avaient vécue comme un refuge. Comme celui des bras d'une autre mère, ils s'étaient blottis auprès d'elle, Compagne fidèle des nuits sombres et silencieuses, seuls , mais avec elle, là dans ses rangs. Elle était comme un aimant, Elle avait comme une sorte d'attraction surnaturelle, qui faisait évanouir le soir, les promesses et les bonnes intentions des jours... On en avait vu essayer de la quitter parfois, mais comme un homme qui n'oserait se laisser partir, ils finissaient toujours par rentrer à la maison... Certains, avaient voulu la prendre comme un jeu, et avaient parfois même cru, à tord, bien sur et seulement quelque temps (généralement), pouvoir le mener. Et ils avaient fini en cage pour les plus chanceux d'entre eux. Rares sont ceux qui avaient finalement réussi à divorcer. Mais ceux là avaient de magnifiques histoires... qui faisaient partie des plus magnifiques raisons pour lesquelles, elle savait aujourd'hui qui étaient vraiment ses frères.
Au nombre d'entre eux que la Rue comptait dans ses rangs, on aurait pu croire qu'elle finirait par tous nous les prendre. Tous ou presque l'avaient vécu comme des soldats sur un terrain en guerre. Et s'il y avait des guerres pour la Paix, avec elle ils ne connaissaient, que celles qui en provoquent de nouvelles. La peur de la mort là-bas loin derrière, le fusil à l'épaule, prêts à mourir pour elle. Tous ou presque l'aimaient et la portaient dans le cœur, auraient tout combattu pour elle et tout ce qu'elle avait promis de leur donner. Tous ou presque, y avaient trouvé une place, celle qu'ils s'y étaient faite eux mêmes, ou celle qu'elle avait imposée à eux. Avaient trouvé un chemin (et pas des moindres) à leurs âmes errantes, y avaient trouvé un code, ou le moyen de le détourner. C'est un des trucs ça, un des trucs qu'elle garderait d'elle, qu'elle avait appris à faire à cause d'elle, avec eux. Comme tant d'autres choses d'ailleurs. Des leçons qu'on tire avec le sourire, et de celles qu'on prend bien malgré soi, le mal en soi.. Les rafales, la terreur, les erreurs stupides et les barreaux, les trahisons, les vengeances, les rages, les larmes, et tout ce qui une fois lâché, ravage tout. La Mort. Et la Rue qui les regarde, sourire en coin, au loin là-bas sur le parking des urgences, là-bas derrière, au cimetière, le jour où on l'a enterré. Elle, s'est souvent retrouvée lasse, épuisée, figée là devant la Rue avec eux. Dépassée avec eux. Et pourtant, partout, ici et là, on traîne encore et toujours avec elle, vit toujours avec elle, peine toujours avec elle, Meurt toujours avec elle. Imposant ses sors et ses tords à ceux qu'elle enrôle avec elle. Elle aimante toujours les mêmes, et des petits nouveaux avec eux. Elle aime hanter toujours les mêmes, et a emporté des familles entières avec eux...
Des destins qu'on accepte puisque Dieu nous avait voulu là. D'histoires sombres aux éclats magnifiques,que personne ne calculait jamais. De blessures qu'on cicatrise chacun à sa manière, avec de bonnes ou de sales manières. Des vérités qu'on tait et qu'on enterre avec ceux dont on partage les secrets. De l'art et la manière d'y trouver la Paix. Elle fera des contes, loin d'être féeriques, des sales histoires et des leçons, qu'on en aura tous tiré.
Pour ceux qu'elle avait croisé au coin de la Rue, Pour toutes ces choses qu'ils y avaient trouvées, Pas pour ce qui se voit, mais pour ce qu'il y a derrière, Pas pour ce qui se dit, surtout pour tout ce qui ne se dit pas. Et de comme ça qu'elle sait, qui sont ses frères.
Ben's.